Déradicalisation ? Individuation

Résumé

La dé radicalisation lutte contre un enfermement dans un crédo borné. Et nous, sommes-nous exempts d’un enfermement similaire ? La dé radicalisation est une phase de croissance pour se dégager de principes établis, pour penser plus largement, pour devenir davantage un individu à part entière, pour devenir plus entièrement soi-même.

Introduction

Dé radicalisation, ce terme est à la mode ; nul ne le met en question, il semble indispensable et, de plus, on sait tout de suite qui sont les gentils, qui sont les méchants. La sonorité dé radicalisation fait écho à dératisation. Ce terme vient de la réaction face aux attentats, face à l’embrigadement de jeunes mais, on le sait, la peur est mauvaise conseillère. Terme issu d’une réaction et donc, au sens premier, réactionnaire.
Entendons-nous bien, il s’agit de combattre l’intégrisme radical, non parce qu’il est radical, mais parce qu’il tue, qu’il est borné et veut prendre le pouvoir. Il s’agit de connaître l’adversaire, ses buts et ses moyens pour ouvrir des perspectives, de comprendre pour agir.

Radical

Le terme radical est courant en linguistique, en chimie, il a eu un sens parmi les partis politiques. Ce terme provient de racine. Aller à la racine des choses, c’est aller au fond du problème. Si l’intégrisme reprend ce terme, c’est pour revenir aux sources, mais la source coule, c’est la recherche du mystère et non s’en tenir à la lettre, qui est morte depuis des siècles. ...

Devenir adulte

Devenir adulte oblige à se donner une assise pour mener sa vie. Quand on doit assumer ses choix, il devient nécessaire de trouver des valeurs qui fondent ces choix. Ainsi pour devenir adultes, les adolescents doivent prendre leur distance avec le conditionnement familial ou éducatif, avec la bienséance et oser transgresser. Ils trouvent ainsi ce qui leur convient à la suite d’un certain nombre d’essais et d’erreurs. Ces essais se font d’abord en bandes de copains pour “chercher ses marques” ; c’est, en un sens élargi, le tabou de l’inceste qui oblige à chercher un partenaire en dehors du cocon familial, pour affronter la vie.
Une période de prise de distance, voire de rupture, avec les acquis est donc une phase de croissance vers la maturité. La rupture est souvent frontale, parfois brutale, de la part des jeunes hommes ; elle est souvent plus affective, plus diffuse de la part des jeunes femmes, mais chacun doit affirmer son indépendance. Cette phase peut se produire plus tôt ou plus tard, en fonction d’événements familiaux, économiques, sociaux ou de facteurs psychologiques, astrologiques.

Dans ces essais, se produisent toujours des erreurs, ...

Individuation

S’individuer, devenir un individu, c’est devenir une unité à part entière, donc se démarquer des stéréotypes pour aboutir à être soi-même. Jung a remis à l’honneur le processus d’individuation. Une des premières étapes, sinon la première, est de se déconditionner des acquis familiaux, éducatifs, sociaux et culturels. Y échappe-t-on complètement ? Probablement pas, mais on peut remettre en cause tout un pan du conglomérat que nous avons accepté dans l’enfance avec l’affection de notre entourage. C’est d’abord l’autorité des parents, puis “c’est la maitresse qui l’a dit”, elle transmet le savoir et, à sept ans, on intègre le savoir sans se poser de questions ; à vingt ans, on s’interroge mais, si l’on veut réussir, on sait ce qu’il ne faut pas questionner.

Se déconditionner, c’est prendre du recul : accepter des éléments, mais soupeser certains principes, douter de certaines croyances qu’elles soient religieuses, économiques, médicales ou autres. ...
Individu et altruisme

S’individuer, c’est donc se démarquer de la foule, du conditionnement collectif. Cela ne favorise-t-il pas l’individualisme, un troupeau où chacun s’assume seul ? Se déconditionner, c’est aussi ne pas suivre la recherche de son propre intérêt qui est la ligne de facilité. D’ailleurs, partager avec les autres, faire effort pour offrir quelque chose, se remettre en cause font partie de la vie et donnent de la joie.
Le crédo collectif est d’autant plus prégnant que l’on est moins capable de penser par soi-même, que l’on applique certains principes ou certaines croyances admises. La réflexion se limite alors à des arguments qui sont autant de justifications d’une opinion préétablie. Dès que l’on remet en question ces principes, l’incertitude gagne, les réponses doivent s’élaborer en tenant compte d’un grand nombre de facteurs. Alors on rejoint certains courants d’opinions, mais ces courants sont fluctuants, fluides, rien n’est acquis. Et cela suscite une angoisse certaine, car tout peut changer, ai-je vraiment raison ?
On a ici affaire à deux niveaux du mental ou capacité de compréhension. Argumenter à partir de principes établis relève du niveau 5.6, la pensée est déjà fluide, elle se met en mouvement, mais adhère à des principes et n’en décolle que peu. C’est ce que proposent les dogmes, et beaucoup de religions reculent parce que ce dogme est trop contraignant, la conscience humaine, la société civile, le mode de vie obligent à penser, à faire des choix ; donc à trouver ses propres valeurs. Ce sont donc les religions les plus formelles qui souffrent le plus de ce développement de la pensée. Celle-ci va vers le niveau 5.5 où l’on crée sa propre conception avec, certes, des éléments déjà acquis.

Niveaux de la pensée
niveaux du mental
Le 5ème niveau dans la gamme Esprit-Matière est celui du mental ou faculté de compréhension, là où se déploie la pensée. Le mental commence avec le sens, il se base sur des sensations et des sentiments.
Au niveau 5.7 se trouvent les notions, ce sont les chiffres, les faits. On nomme les choses, l’objet est isolé, posé à distance.
Le niveau 5.6 décrit les raisonnements qui se fondent sur des hypothèses ou des croyances, on applique des principes, qui ne sont pas remis en cause ; le mouvement de la pensée s’amorce.
Le niveau 5.5 est celui du concept, une théorie s’élabore dans un domaine, avec des nœuds de signification : les concepts. Le penseur crée sa perspective, l’objet s’élabore dans sa pensée.
Au niveau 5.4, le penseur est avec le monde, distinct mais observant. Il est relativement détaché et, à ce niveau médian, il peut recevoir l’inspiration et guider le développement de la pensée.
Au niveau 5.3, commencent les niveaux sans forme, sujet et objet sont fusionnés, la conscience est rayonnement, elle baigne dans la lumière tel un soleil.
Au niveau 5.2, le rayonnement est cohérent, la conscience vibre à l’unisson des unités qui sont du même Rayon, apportent la même qualité, sont soutenues par la même valeur centrale.
Le niveau 5.1 décrit le mental spatial ; dans l’espace cognitif se propagent des courants, de pensée, il n’y a plus perception de source focalisée, l’espace pense, conçoit.

Emploi de ces niveaux

La mise en perspective, la conception d’un projet, l’élaboration d’une théorie, quand la pensée construit un édifice, cela relève du concept ou niveau 5.5.
Un autre niveau est aisément accessible, c’est celui où le penseur se perçoit, sans se soucier de construire une opinion, sans préoccupations. Il se perçoit un, indépendant et observateur de lui-même comme du monde. C’est ce que la théosophie a appelé l’unité mentale : une unité distincte mais non séparée, qui assume ses actes et ses choix. Ce niveau d’unité mentale est décrit par le repère 5.4. Le 4ème sous-niveau est intermédiaire entre les trois niveaux du haut et les trois du bas. Ainsi l’adulte conscient peut recevoir l’inspiration (de sources plus abstraites 5.3) et peut guider l’action (sur des niveaux plus concrets, 5.5, 5.6, 5.7). De nombreuses disciplines de relaxation, détente, méditation favorisent l’atteinte de ce niveau 5.4, d’observation créatrice.
Par moments, on peut aussi dépasser le centre de conscience qui observe et qui assume pour parvenir à l’illumination ; on devient lumière, soleil qui rayonne, c’est le niveau 5.3. On se dégage alors de sa forme, d’être un penseur pour penser simplement, l’identité n’a plus à être protégée, elle est de fait ; l’unité autonome participe à un rayonnement qui est partagée avec d’autres. Comme le dit Jung, “le processus d’individuation ne mène pas à l’isolement, mais à une cohésion collective plus intensive et plus universelle.”
Lorsque ce niveau de conscience devient plus fréquent, une valeur apparaît peu à peu, elle transcende le masque social (la persona). Il s’agit toujours de se rendre utile (et non plus seulement de réussir sa vie), ce peut être en apportant l’harmonie, en présentant une vue d’ensemble, en assumant une responsabilité, en unissant divers êtres, en découvrant le mystère, etc. Le noyau perceptif qui fonde la conscience comme l’inconscient est actif et communique avec l’individu qui agit toujours selon ce qu’il perçoit et qui assume ses actes. L’individualité, ce sens d’être original, d’être soi-même ne disparaît pas ; soi-même c’est être lumière, c’est amour, c’est esprit.

Individuation collective

C’est un paradoxe de parler d’individuation collective, puisque l’individuation c’est se démarquer du collectif. Se déconditionner, se dégager des acquis s’effectue par chacun d’abord, mais il existe aussi un mouvement d’ensemble. L’exemple de l’enseignant qui, par sa maturité, montre des possibilités le montre. Chaque individu qui se libère apporte une plus grande sécurité intérieure aux autres. La sagesse se répand par l’exemple. ...

Si jadis les règles étaient imposées, ce qui favorisait une immoralité individuelle, il n’en est plus de même. L’ensemble de l’humanité quitte peu à peu le niveau de conscience 5.6 s’appuyant sur des principes non remis en cause et permettant juste de faire des déductions, d’appliquer le dogme. Elle va vers un niveau de conscience plus subtil où le penseur ordonne sa conception du monde (5.5), où il construit sa vie, avec d’autres, avec les éléments disponibles autour de lui, mais il choisit ; puis il s’affirme créateur, respectueux des autres (niveau 5.4) avant de rayonner tel un soleil (niveau 5.3). Voilà l’évolution qui se dessine derrière le terme dé radicalisation.

Conclusion

Radical interroge nos racines. Quelles sont les racines de l’être humain ? Hubert Reeves rappelle que notre corps est composé de poussières d’étoiles. Marie-Louise von Franz mentionne que de nombreuses traditions parlent de l’Homme cosmique ; s’unir au cosmos tel est le but du yoga. Les évangiles rapportent les paroles du Christ : vous êtes des dieux. Des dieux en germe, aidons cette germination en respectant la liberté de chacun. L’erreur fait partie du chemin, l’entraide également.

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